C'est à la fois une question passionnante, très importante... et extrêmement délicate. Elle est passionnante parce que je justement très importante, pas tranchée et qui a tendance à déclencher des réactions épidermiques.
Comme pratiquement tout le temps en économie, il n'y a pas de réponse toute faite, ce serait bien trop facile. Une blague récurrente (depuis Reagan, en fait) dans la profession implique que si l'on pose une même question à 10 économistes, on aura au moins 10 réponses différentes. Je ne peux que rappeler combien on doit être prudent.
Je ne connaissais pas Michael Kumhof, mais Raghuram Rajan à qui l'ont doit, en premier (depuis la crise de 2008, cf "Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy"), cet argument sur la nocivité des inégalités de revenu trop prononcées.
Ce ne sont pas les seuls à travailler sur cette question, d'ailleurs. Je peux également citer Gaël Giraud de la Paris School of Economics, jésuite d'ailleurs (et avec un CV impressionnant), qui a écrit un très récent livre sur la question. Je suis d'ailleurs en train de le lire ("LE Facteur 12", donc). Il s'agirait de plafonner les revenus à 12 fois les revenus minimum.
Du coup, je ne suis pas un spécialiste de ces questions d'inégalité, ou même de crise, mais j'y travaille, et j'ai en projet de m'y plonger vraiment après mon travail sur le revenu universel, d'ici à l'été.
De manière plutôt intuitive, je crois que pour avoir un semblant de réponse, il faudrait se poser les questions suivantes:
-pourquoi il existe des inégalités de revenu? Vache...
-quel est l'impact de ces inégalités sur l'activité économique? Il existe plein de réponses qui vont dans les deux sens (eg le célèbre papier de Barro:
http://www.development.wne.uw.edu.pl/up ... uality.pdf ). Une dernière étude montrerait qu'il n'y a justement pas de lien entre la dernière crise et les inégalités de revenu:
http://papers.nber.org/papers/w17896#fromrss-est-ce que c'est bien d'avoir des inégalités de revenu?
Au delà de tout clivage idéologique qui ne me semble pas avoir sa place dans le débat, il me semble (toujours très intuitivement, à développer plus tard) que l'existence d'inégalités est quelque chose de tout à fait souhaitable (parce que les gens sont différents, et ont une productivité marginale différente) dans l'économie et la société. En outre, elle est source importante de dynamisme économique. Pour autant, je crois qu'elle devient néfaste dès lors qu'elle devient trop importante (d'où le facteur 12 de Giraud).
Pour autant, je pense qu'elle devient néfaste, en particulier quand elle est issue d'une rente, et donc plus vraiment source de création de richesse. Et c'est vraiment là que ça devient compliqué (sur ce point). Le fondement de la légitimité à la très grande fortune est toujours le même (la propriété privée), mais entre une rentière à la Bettencourt, et un entrepreneur brillant (type fondateurs de Google qui investissent dans un projet de minage d'asteroïde...
http://ieet.org/index.php/IEET/more/5705 ), on comprend que ça n'a pas le même impact sur la société.
-Comment mettre en place des mesures de réductions d'inégalité, si on considérait que c'était souhaitable?
A titre, personnel, toujours de manière très intuitive, je serais pour l'instant plutôt favorable à une limitation des revenus (par l'impôt plutôt que par la loi), mais de manière encadrée, c'est à dire sans avoir d'impact sur les revenus des vrais créateurs de richesse, notamment les créateurs d'entreprises (et pas le notaire... :p). On pourrait parfaitement imaginer un abattement (total ou partiel) pendant les X années qui suivent la création d'une entreprise innovante (potentiellement reconductible en fonction du niveau de réinvestissement de la société, pourquoi pas).